mercredi 28 juillet 2010

Parc-Extension 5/5: Feu-follet

Titre du jalon 5 : Feu-follet

Lieu :

Coin de la rue Jules-Verne et du boulevard Saint-Laurent (ICI)

Description :

Il s'agit ici d'apercevoir dans la rue Jules-Verne son nom, avant ses maisons. Écrivain magistral, démiurge polyexplorateur du cycle des « Voyages extraordinaires », Jules Verne est également l'auteur d'un roman qui se passe entièrement au Québec et qui revisite par la fiction la Rébellion des Patriotes (1837-1838), l'affrontement entre Canadiens-anglais d'obédience britannique et Canadiens-français de descendance française. Famille-Sans-Nom (1889) mérite d'être lu. Voire : l'« odonyme » (i.e. « nom de rue » : grec odo-, « chemin », « route », et onoma-, « nom ») « Jules-Verne » mérite aussi d'être aperçu. La ville et ses quartiers abritent mille textes, une authentique courtepointe textualisée.

Ce jalon propose, s'enroulant autour d'un arbre ou d'un poteau de l'intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Jules-Verne une banderole qui fait la présentation du roman Famille-Sans-Nom de Verne, du beau poème « Le feu follet » (1886, 1889) qui y apparaît (un des rares composés par Verne, cité dans son intégralité en note ), et également d'un certain nombre de « Capsules “typolexicologiques” » ayant pour objet d'attirer l'attention sur la langue des toponymes, sur les mots de la ville. Je propose une discussion sur la norme linguistique des noms de la ville (ces fameux « toponymes ») et sur quelques détails de sa phénoménalisation : ces curieux traits d'union par exemple , apparaissant et disparaissant, dans « rue Jules-Verne », « Famille-Sans-Nom », « feu-follet »… À suivre.

Le poème vernien :

Le feu follet

(Jules Verne, 1886, Famille-Sans-Nom, 1889)

Ce feu fantasque, insaisissable,

Qui, le soir, se dégage et luit,

Et qui, dans l’ombre de la nuit,

Ni sur la mer ni sur le sable,

Ne laisse de trace après lui !

Ce feu toujours prêt à s’éteindre,

Tantôt blanchâtre ou violet,

Pour reconnaître ce qu’il est,

Il faudrait le pouvoir atteindre…

Atteignez donc un feu follet !

On dit, est-ce chose certaine ?

Que c’est l’hydrogène du sol.

J’aime mieux croire qu’en son vol,

Il vient d’une étoile lointaine,

De Véga, de la Lyre ou d’Algol.

Mais n’est-ce pas plutôt l’haleine

D’un sylphe, d’un djinn, d’un lutin,

Qui brille, s’envole et s’éteint,

Lorsque se réveille la plaine

Aux rayons joyeux du matin ?

Ou la lueur de la lanterne

Du long spectre qui va s’asseoir

Sur la chaume du vieux pressoir,

Quand la lune, blafarde et terne,

Se lève à l’horizon du soir ?

Peut-être l’âme lumineuse

D’une folle qui va cherchant

La paix hors du monde méchant,

Et passe comme une glaneuse

Qui n’a rien trouvé dans son champ ?

Serait-ce un effet de mirage,

Produit par le trouble de l’air

Sur l’horizon déjà moins clair,

Ou, vers la fin de quelque orage,

Le reste d’un dernier éclair ?

Est-ce la lueur d’un bolide,

D’un météore icarien,

Qui, dans son cours aérien,

Était lumineux et solide,

Et dont il ne reste plus rien ?

Ou sur les champs dont il éclaire

D’un pâle reflet le sillon,

Quelque mystérieux rayon

Tombé d’une aurore polaire,

Comme un nocturne papillon ?

Serait-ce en ces heures funèbres,

Où les vivants dorment lassés,

Le pavillon aux plis froissés

Qu’ici-bas l’Ange des ténèbres

Arbore au nom des trépassés?

Ou bien, au milieu des nuits sombres,

Lorsque le moment est venu,

Est-ce le signal convenu

Que la terre, du sein des ombres,

Envoie au ciel vers l’inconnu,

Et qui, comme un feu de marée,

Aux esprits errants à travers

Les vagues espaces ouverts,

Indique la céleste entrée

Des ports de l’immense Univers ?

Mais si c’est l’amour, jeune fille,

Qui l’agite à tes yeux là-bas,

Laisse-le seul à ses ébats !

Prends garde à ton cœur ! Ce feu brille…

Il brille mais ne brûle pas !

Qui que tu sois, éclair, souffle, âme,

Pour mieux pénétrer tes secrets,

Ô feu fantasque, je voudrais

Pouvoir m’absorber dans ta flamme !

Alors partout je te suivrais,

Lorsque sur la cime des arbres,

Tu viens poser ton front ailé,

Ou, discrètement appelé,

Lorsque tu caresses les marbres

Du cimetière désolé !

Ou quand tu rôdes sur les lisses

Du navire battu de flanc

Sous les coups du typhon hurlant,

Et que dans les agrès tu glisses,

Comme un lumineux goéland !

Et l’union serait complète,

Si le destin, un jour, voulait

Que je pusse, comme il me plaît,

Naître avec toi, flamme follette,

Mourir avec toi, feu follet !

Source : Jules Verne, Famille-Sans-Nom, avec 82 dessins de G. Tiret-Bognet, Guy Bouliane, Éditeur, [année ?], p. 53-60, passim.


Quelques remarques d'ordre lexicologique :

(1611) Feu follet : petite flamme due à une exhalaison de gaz (hydrogène phosphoré) spontanément inflammable. Voir flammerole, furole. « Devant le feu follet, l'un dit âme des morts, et l'autre dit hydrogène sulfuré » (Alain).

Fig. C'est un vrai feu follet, se dit d'une personne très vive, rapide, insaisissable.

(Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2007 — Version électronique, article « follet, ette »)

Feu-follet, nom masculin.

Lutin ou esprit qui, selon le folklore, intervient d’une manière étrange la nuit.

« Je m’élançai hors de ma barque, et je me dirigeai, à la lueur de mille feux-follets, vers l’entrée principale de cet édifice, dont mes yeux ne pouvaient mesurer la hauteur. »

(Étienne de Jouy, l’Hermite de la Chaussée-d’Antin, vol. 2, Gallica)

« Et par ces nuits chargées d’ozone, les désirs crépitaient à fleur de peau comme les feux-follets sur la tourbière. »

(Georges Eekhoud, la Nouvelle Carthage, Projet Gutenberg)

« Tu peux donc nous mener au mirage béant, feu-follet connu, vertugadin du néant. »

(Jules Laforgue, les Complaintes, Gallica)

(Dictionnaire Antidote HD, article « Feu-follet »)

Parc-Extension 4/5: Dérive urbaine


Titre du jalon 4 : Dérive urbaine


Lieu :

Coin sud-est du parc Jarry


Description :

L’activité proposée consiste en un atelier de création artistique basée sur une expérience de dérive urbaine. En s’inspirant des propos de Julien Gracq pour qui « ces images dépareillées et parfois dérisoires, que rien apparemment ne ressemble et ne relie », les participants de l’atelier sont appelés à décrire par différents médiums (écrit, dessin, collage) leur parcours urbain réalisé entre les précédents jalons. Des extraits de « Tea for one » de Patrick Straram seront alors présentés comme des exemples de dérive urbaine.

L’atelier est motivé par deux principaux objectifs :


— Favoriser la multiplication des regards sur le milieu urbain


— Encourager la création artistique basée sur une expérience du quotidien de la ville


Le Collectif de Babel mettra à la disposition des participants différents éléments de papeterie (crayons, feuilles, ciseaux) et rendra disponible d’autres matériaux pouvant alimenter et servir la création artistique (ex. : photographies, journaux, etc.). Les cartes ainsi que les calepins de notes et les crayons remis au kiosque d’accueil de Lire Montréal serviront également de matériel pour l’atelier. Aucune contrainte de forme et de contenu ne sera imposée aux participants. Ainsi, certains pourraient choisir de dessiner, tandis que d'autres pourraient choisir de faire un collage à partir du matériel rendu disponible.


Les créations artistiques qui seront produites au terme de l’activité seront colligées dans un « log book » faisant état de l’expérience. Avec l’accord de leurs auteurs respectifs, ces créations pourraient servir à alimenter le premier volet d’un guide touristique littéraire proposé par le collectif sur son blogue. À cet effet, un représentant du collectif sera présent à l’atelier avec un ordinateur pour présenter le blogue ainsi que les différentes réalisations du Collectif de Babel.

« Garages.


Buildings d’appartements.


Un institut des sourds-muets. C’est de circonstances, c’est même extraordinaire ce


que c’est de circonstances, un institut des sourds-muets.


Un immeuble qui porte un nom de sérénade orientale : Kahan.


L’éreintement lancine. Crampes. Sueur.


Enfin la rue Molière. »

— Extrait de Patrick Straram, Blues clair. Tea for one/ no more tea, Herbes rouges, numéros 113-115, 1983, p. 23.


[…] ces images dépareillées et parfois dérisoires, que rien apparemment ne ressemble et ne relie, composent pour moi comme un écu écartelé, gironné : la ville éclatée ressaisit en elles un chiffre plus parlant que toutes les vues panoramiques qu’on peut en garder, parce que la clé est tout entière dans le tri exercé souverainement, sur le chaos du donné, par une sensibilité encore sans guide et sans modèle, qui suivait sa seule pente, et à laquelle rien n’en imposait.

- Extrait de Julien Gracq, La forme d’une ville, Paris, José Corti, 1985, p.213